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Lanceurs d’alerte : procédure d’alerte et garanties de protection dans le secteur privé

Auteur :
Maître Alma Basic
|
Publié le
31/12/2023
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La protection des lanceurs d’alerte est définie par la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 (dite Loi Sapin 2) modifiée par la loi n°2022-401 du 21 mars 2022 (dite Loi Waserman) transposant en droit français la directive UE 2019/1937 du 23 octobre 2019.

Cette loi est complétée par un décret n°2022-1284 paru le 3 octobre 2022.

Qui peut être lanceur d’alerte ?

·  Une personne physique

·  Une personne désintéressée (ce qui exclut toute forme de rémunération) et de bonne foi[1] 

·  Une personne ayant personnellement eu connaissance des faits dénoncés, sauf si l’alerte a lieu dans un cadre professionnel, auquel cas les faits peuvent seulement lui avoir été rapportés.

Quelles sont les informations qui donnent lieu à une alerte ?

·  Une « menace ou un préjudice pour l’intérêt général »

·  Un fait illicite : un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général.

En revanche, sont exclus les faits, informations ou documents couverts par le secret de la défense nationale, par le secret médical, par le secret des délibérations judiciaires, le secret de l'enquête ou de l'instruction judiciaire ou par le secret professionnel de l'avocat.

Comment est donnée l’alerte ou le signalement ?

Il s’agit d’une procédure à trois paliers s'agissant d'une divulgation opérée dans le cadre professionnel : alerte auprès de l’employeur, puis alerte de l'autorité compétente (judiciaire ou administrative), enfin alerte publique.

Alerte en interne

L’alerte interne est adressée à l’employeur et doit porter sur des informations professionnelles, c’est-à-dire obtenues dans un cadre professionnel sur des faits qui se sont déroulés ou sont susceptibles de s’être déroulés dans la structure professionnelle en cause.

La loi no 2022-401 du 21 mars 2022 a complété l'obligation faite aux entreprises d'au moins 50 salariés de mettre en place en place une procédure de signalement interne, en précisant qu'il s'agit d'une procédure de recueil et de traitement des alertes (et non plus une simple procédure de recueil). L'effectif de 50 salariés est déterminé selon les règles de décompte de l'effectif en Sécurité sociale, sans gel des effets de seuil (CSS, art. L. 130-1, I). Le seuil de 50 salariés s'apprécie à la clôture de deux exercices consécutifs.

Depuis le 1erseptembre 2022, le règlement intérieur doit rappeler l'existence d'un dispositif de protection des lanceurs d'alerte (conformément à l'article 18 de la loi no 2022-401 du 21 mars 2022).

Le décret no 2022-1284 du 3 octobre 2022 précise les procédures interne de signalement.

L'on notera que si l’employeur choisit l'instrument juridique dans lequel il inscrit la procédure de signalement (note de service, accord collectif…), il doit au préalable consulter le comité social et économique (D. no 2022-1284, 3 oct. 2022, art. 3).

Si une procédure de signalement interne existe, le salarié est tenu de la suivre.

Dans le cas contraire, il porte directement son signalement au supérieur hiérarchique direct ou indirect, à l'employeur ou à un référent désigné par celui-ci (L. no 2016-1691, 9 déc. 2016, art. 8 ; L. no 2022-401, 21 mars 2022).

La procédure de signalement interne doit indiquer la (les) personne(s) ou le(s) service(s) en charge du recueil et du traitement des alertes (D. no2022-1284, 3 oct. 2022, art. 5).

La réception des alertes puis leur traitement peuvent être gérés par des personnes ou services différents. Les personnes ou services désignés disposent, par leur positionnement ou leur statut, de la compétence, de l'autorité et des moyens suffisants à l'exercice de leurs missions. La procédure prévoit les garanties permettant l'exercice impartial de ces missions.

L'employeur est tenu de diffuser la procédure de signalement par tout moyen assurant une publicité suffisante (notification, affichage ou publication, le cas échéant sur son site internet ou par voie électronique ; D. no2022-1284, 3 oct. 2022, art. 8).

La procédure doit être rendue accessible de manière permanente aux personnes susceptibles de lancer une alerte : salariés, anciens salariés, actionnaires, etc. Il peut diffuser aux intéressés la procédure applicable aux autres entreprises du groupe. L'employeur est également tenu de mettre à disposition des informations claires et facilement accessibles concernant les procédures de signalement externe.

La procédure de signalement interne doit instaurer un canal de réception des alertes, qui peuvent être écrites ou orales en fonction de ce prévoit la procédure (D. no2022-1284, 3 oct. 2022, art. 4).

La procédure interne débute par une première étape de recueil des alertes, par le biais d'un canal de réception des alertes avant une étape de traitement des alertes.

La procédure interne peut imposer à l'auteur du signalement (sauf s'il est anonyme), de transmettre tout élément justifiant de sa qualité de lanceur d'alerte interne au sens de l'article 8 de la loi Sapin II (L.no 2016-1691, 9 déc. 2016). Le canal de signalement doit par ailleurs permettre au lanceur d'alerte de transmettre tout élément, quel que soit sa forme ou son support, de nature à étayer son alerte.

Le lanceur d'alerte est informé par écrit de la réception de son alerte dans un délai de sept jours ouvrés à compter de cette réception.

Sauf si le signalement est anonyme, l'employeur est tenu de vérifier que les conditions de l'exercice du droit d'alerte sont remplies : qualité et bonne foi de l'auteur, objet de l'alerte, absence de contrepartie directe à l'alerte, etc. (D. no 2022-1284, 3 oct. 2022, art. 4). Il peut dans ce contexte demander des compléments d'information au lanceur d'alerte.

Le cas échéant, l'employeur doit indiquer au lanceur d'alerte les raisons pour lesquelles il estime que son signalement ne respecte pas les conditions requises, ainsi que les suites données à son signalement. La procédure doit également préciser les suites données aux signalements anonymes.

Si l'employeur estime que l'alerte concerne une entreprise appartenant au même groupe, il peut inviter le lanceur d'alerte à l'adresser également à cette dernière. S'il estime que l'alerte serait traitée de manière plus efficace par cette autre entité, l'employeur peut l'inviter à retirer le signalement.

Si les conditions de l'exercice du droit d'alerte sont remplies, l’employeur doit assurer son traitement. Il peut demander tout complément d'information au lanceur d'alerte afin d'évaluer l'exactitude de ses allégations (D. no 2022-1284, 3 oct. 2022, art. 4). Le cas échéant, l'employeur met alors en œuvre les moyens à sa disposition pour remédier à l'objet du signalement.

L'employeur informe le lanceur d'alerte du traitement de son alerte dans un délai d'au plus trois mois à compter de l'avis de réception du signalement (ou, à défaut d'avis trois mois à l'issue d'une période de sept jours ouvrés suivant le signalement). À cet effet, l'autorité lui communique par écrit des informations sur les mesures envisagées ou prises pour évaluer l'exactitude des allégations et, le cas échéant, remédier à l'objet du signalement ainsi que sur les motifs de ces dernières.

L'employeur clôture le signalement lorsque les allégations sont inexactes, infondées ou lorsque le signalement est devenu sans objet. L'auteur du signalement est informé par écrit de la clôture du dossier.

La procédure interne doit :

·  Garantir l'intégralité et la confidentialité des informations recueillies dans un signalement, notamment l'identité du lanceur d'alerte, des personnes visées par celle-ci et de tout tiers qui y est mentionné ;

·  Interdire l'accès à ces informations aux membres du personnel qui ne sont pas chargés de recueillir ou d'assurer le traitement des alertes ;

·  Prévoir la transmission sans délai aux personnes ou services chargés de recueillir ou de traiter les alertes des signalements reçus par d'autres personnes ou services.

L'alerte orale doit être consignée selon des modalités fixées par le décret en fonction du système mis en place pour les recueillir (D. no 2022-1284, 3 oct. 2022, art. 6).

Si une alerte est donnée oralement, alors le salarié doit pouvoir être reçue dans les 20 jours et l’échange donné lieu à un enregistrement ou un procès-verbal signé.

L’employeur doit prévoir des modalités de traitement des signalements anonymes. Un avis de réception de l’alerte doit être notifié dans un délai de 7 jours et donner lieu à une première réponse dans un délai de 3 mois.

Alerte externe

Elle est adressée à l’une des autorités publiques désignées par le décret du 3 octobre 2022 :

·  Le Défenseur Des Droits ;

·  Un organe ou organisme européen listé par la Directive 2019/1937 ;

·  Une autorité administre listée ;

·  L’autorité judiciaire.

L’autorité externe doit accuser réception dans un délai de sept jours et informer le lanceur d’alerte dans un délai de trois mois.

La divulgation publique

La divulgation publique consiste à porter l’alerte à la connaissance du public, par exemple par les médias ou réseaux sociaux.

Elle n’est protégée par le régime des lanceurs d’alertes que dans les quatre cas suivants :

·  L’autorité externe saisie n’a pas apporté de réponse appropriée dans le délai imparti de 3 mois ou, pour l’autorité judiciaire, l’institution de l’UE ou le défenseur des droits, de 6 mois ;

·  En présence d’un danger grave et imminent ;

·  En présence d’une alerte sur des informations obtenues dans un cadre professionnel et qui caractérisent un danger grave ou manifeste pour l’intérêt général, notamment s’il existe une situation d’urgence ou un risque de préjudice irréversible,

·  S’il existe des risques de représailles en cas de saisine de l’autorité externe ou si cette saisine ne permettrait pas de remédier efficacement à l’objet de l’alerte, par exemple parce que des preuves risquent d’être dissimulées ou détruites ou parce qu’il existe des raisons sérieuses de penser que l’autorité est en conflit d’intérêts, en collusion avec l’auteur des faits ou est impliquée dans les faits.

Quelles est la protection accordée aux lanceurs d’alerte ?

Interdiction des représailles : Toute mesure de représailles contre les lanceurs d’alerte est interdite, notamment : suspension, mise à pied, rétrogradation, refus de promotion, transfert de fonctions, changement de lieu de travail, réduction de salaire, modification des horaires de travail, suspension d’une formation, évaluation négatives, coercition, intimidation, harcèlement, ostracisme, discrimination, traitement désavantageux, non-conversion d’un contrat de travail à durée déterminée ou temporaire en contrat permanent lorsque le travailleur pouvait légitimement espérer se voir offrir un emploi permanent, non-renouvellement ou résiliation anticipée d’un CDD ou temporaire, atteinte à la réputation de la personne, perte financière, mise sur une liste noire formelle ou informelle destinée à empêcher à la personne de retrouver un emploi dans le secteur ou la branche d’activité, résiliation ou annulation d’un contrat pour des biens ou des services, annulation d’une licence ou d’un permis, orientation abusive vers un traitement psychiatrique ou médical (loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016, article 10-1, II et article L.1132-1 du code du travail).

Interdiction des discriminations : la loi interdit toute discrimination à l’encontre des lanceurs d’alerte. La discrimination des lanceurs d’alerte et des facilitateurs est également constitutive d’une discrimination pénale.

Aménagement de la charge de la preuve. Lorsque le lanceur d’alerte conteste en justice une mesure de représailles, il lui incombe de présenter des éléments de faits qui permettent de supposer qu’il a signalé ou divulgué des informations dans les conditions prévues par la loi. Il revient ensuite à la parte adverse de prouver que sa décision est justifiée par des raisons sans lien avec l’alerte. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, si besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il est utiles. Toute mesure de représailles, toute discrimination est nulle.

Nullité du licenciement et droit à réintégration : en cas de rupture des on contrat de travail consécutive à une alerte, le lanceur d’alerte salarié peut saisir le Conseil de prud’hommes en référé afin qu’il soit ordonné l’annulation de la mesure, son indemnisation et sa réintégration éventuelle.

Dans un arrêt du 13 juin 2018 (16-21.926), la Chambre sociale de la Cour de cassation fait bénéficier au salarié de la protection applicable au lanceur d'alerte, et a prononcé la nullité du licenciement de ce chef au motif suivant :

« qu'en statuant ainsi, sans rechercher si le simple fait pour le salarié d'avoir relaté les graves dysfonctionnements par lui constatés dans l'entreprise et d'avoir attiré l'attention de son employeur sur ces faits ne justifiait pas de le considérer comme un lanceur d'alerte, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 1132-3, L. 1132-4 et L. 1161-1 du Code du travail. »

En effet, la Cour de cassation adopte le raisonnement soutenu par le salarié pour censurer la position des juges du fond en relevant que 

« Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de refuser de considérer qu'il avait été licencié en raison du fait qu'il avait relaté des dysfonctionnements graves dans l'entreprise auprès de son employeur, de refuser de lui attribuer la qualité de lanceur d'alerte, et en conséquence de refuser de prononcer la nullité du licenciement sur ce fondement, alors, selon le moyen, que la protection applicable au lanceur d'alerte concerne le fait de dénoncer, mais encore de relater des faits graves de dysfonctionnements dans l'entreprise ; qu'en l'espèce, le salarié avait précisément relaté l'ensemble des faits de dysfonctionnements graves qu'il avait pu constater dans l'exercice de ses fonctions et informé son employeur de ce fait ; que pour refuser de considérer que le salarié pouvait bénéficier de la protection applicable au lanceur d'alerte, et donc de prononcer la nullité du licenciement de ce chef, la cour d'appel s'est contentée de souligner que le salarié n'avait pas dénoncé les faits en cause ».

L’on notera également que le salarié ne pourra pas être sanctionné au motif de la violation de son devoir de loyauté, souvent prévu dans le contrat de travail, pour avoir exercé son droit d'alerte dès lors qu'il a agi de bonne foi (à titre d’exemple, cour d’appel de Versailles, 15e ch., 8 juin 2023, n° 20/01301 : dans cette affaire, le cabinet BASIC ROUSSEAU AVOCATS a obtenu la qualification de lanceur d’alerte du salarié ayant lancé alerte et a obtenu la nullité de son licenciement dont l’un des motifs était le manquement à l’obligation de loyauté.

Immunité civile et pénale : la responsabilité civile du lanceur d’alerte ne peut être engagée si l’alerte a été réalisée conformément aux textes et que le lanceur d’alerte avait des motifs raisonnables de croire que le signalement ou la divulgation de l’intégralité des informations était nécessaire à la sauvegarde des intérêts en cause. En matière pénale, le lanceur d’alerte qui a porté atteinte à un secret protégé par la loi, ou soustrait, ou recelé des documents ou tout autre support contenant des informations auxquelles il a eu accès de manière licite est exonéré de responsabilité pénale à condition que :

·  L’alerte ait été effectuées conformément à la loi ;

·  L’auteur du signalement corresponde à la définition du lanceur d’alerte ;

·  La divulgation d’informations soit nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause

La jurisprudence a également évolué autour des lanceurs d’alerte du secteur médico-social grâce à l’affaire concernant madame Céline B, également défendue par maître Alma BASIC, qui a été poursuivie en diffamation et relaxée par le tribunal correctionnel de Toulouse pour avoir dénoncé des maltraitances dans l’Institut médico-éducatif (IME) de Moussaron dans le Gers.

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[1] L’article2274 du Code civil dispose que « la bonne foi est toujours présumée, et c'est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver. 

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