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La suspension en référé d’une sanction disciplinaire disproportionnée notifiée à un agent public secrétaire d’un syndicat

Auteur :
Maître Bénédicte Rousseau
|
Publié le
9/12/2023
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Par une ordonnance rendue le 25 octobre 2022 (n° 2202333), le juge des référés du tribunal administratif de Caen a suspendu l’exécution d’une sanction disciplinaire de trois jours d’exclusion de ses fonctions d’un agent public qui s’était simplement entretenu en tête-à-tête avec un journaliste sur la pelouse de l’hôpital.

Sanction disciplinaire à l’encontre d’un agent public : Le contexte du litige

Au mois de mai 2022, un agent public hospitalier, secrétaire d’un syndicat présent sur le centre hospitalier et par ailleurs candidat à la députation, a répondu aux questions d’un journaliste sur son temps de pause méridienne. Ce journaliste avait de lui-même pénétré dans l’enceinte de l’établissement, de sorte que leur conversation, qui a eu lieu uniquement entre l’agent et ce journaliste, s’est tenue pendant quelques minutes sur la pelouse de l’hôpital, à proximité du parking.

Par hasard, le directeur de l’établissement a vu les deux hommes converser et a reconnu le journaliste en raison de son micro caractéristique d’une radio locale. Il a immédiatement interrompu l’interview, sans chercher à en connaître la teneur.

Plusieurs mois ont passé. Ce n’est finalement qu’à la toute fin du mois d’octobre 2022, alors que les élections professionnelles auxquelles se présentait cet agent devaient se tenir à compter du 1er décembre suivant, qu’une sanction d’exclusion de ses fonctions pour une durée de trois jours a été prononcée – soit au plus fort de la campagne électorale !

La stratégie juridique qui s’impose en cas de sanction disciplinaire : un recours en annulation éventuellement assorti d’un référé suspension si l’urgence peut être démontrée.

L’agent sanctionné peut demander au juge des référés la suspension de son exclusion de fonctions sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative. 

En application de ce texte, le juge des référés peut ordonner la suspension de l’exécution de la sanction disciplinaire, à condition de démontrer qu’il y a urgence à suspendre la sanction et qu’un moyen sérieux est de nature à créer un doute sur la légalité de cette sanction.

Le juge des référés se prononce rapidement après le dépôt de la requête.

Bref rappel du droit en matière d’expression politique et syndicale des agents publics 

L’article L. 111-1 du code général de la fonction publique (CGFP) prévoit que « la liberté d'opinion est garantie aux agents publics ».

Par ailleurs, l’article L. 111-2 du même code dispose en son premier alinéa que « la carrière ou le parcours professionnel de l'agent public candidat ou élu à une fonction publique élective […] ne peut être affecté ou influencé en aucune manière par les opinions, positions ou votes émis au cours de sa campagne électorale ou de son mandat ».

Aucune discrimination ne peut être faite entre les agents en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses. Un agent public peut donc adhérer au syndicat et au parti politique de son choix, et même participer aux activités de ces organisations et, s’il le souhaite, se porter librement candidat à des mandats syndicaux ou politiques.

La seule limite posée par le législateur est que l’activité politique des agents publics doit demeurer compatible avec l’exercice de leurs fonctions, ce qui implique que l’agent candidat ne doit pas faire usage de ses fonctions à des fins de propagande électorale.

Cela signifie que les agents publics ont le droit de parler et d’écrire librement et de se présenter aux élections politiques comme professionnelles, dans la seule limite de ce qu’impose leur obligation de réserve (CE, 10 mars 1971, n° 78156, publié au Recueil).

Le devoir de réserve implique qu’un agent fasse preuve de retenue dans l'expression écrite et orale de ses opinions personnelles, et notamment politiques. Le manquement au devoir de réserve n’est caractérisé que si les propos tenus par l’agent ont reçu une forte publicité et s’ils correspondent à des injures ou s’ils portent atteinte à la réputation du service public, de l’administration en général ou de l’établissement public employant cet agent.

En aucun cas l’obligation de réserve ne doit être interprétée comme une interdiction d'exercer les libertés d’opinion et d’expression des agents publics, lesquels sont avant tout des citoyens. Le juge des référés du tribunal de céans l’a fermement rappelé lors de l’audience qui s’est tenue le 24 octobre 2022.

Autre question juridique en jeu : à quelles conditions la presse peut-elle intervenir dans l’enceinte d’un établissement public ?

En ce qui concerne les relations entre les agents candidats à une élection et la presse, on doit pouvoir déduire d’un arrêt rendu par le Conseil d’État le 29 décembre 2000 que c’est uniquement dans le cadre d’interviews en lien avec le service ou les fonctions de l’agent, voire de questions relatives à l’organisation du service public concerné, que la hiérarchie de l’agent doit être prévenue et son autorisation sollicitée (CE, 29 décembre 2000, Syndicat Sud Travail, n° 213590, mentionné aux tables du recueil Lebon).

Dans ses conclusions prononcées à l’occasion de cette affaire, madame Pascale Fombeur, rapporteure publique au Conseil d’État, a apporté des précisions importantes :

« Un fonctionnaire n’a donc pas, de sa propre initiative, à communiquer en direction des médias sur les dossiers dont il est chargé […].

Les dispositions relatives aux demandes d’entretiens radiodiffusés ou télévisés soulèvent plus de difficultés. Rappelons que dans ce cas, l’agent sollicité, après s’être informé avec précision de la nature des questions qui lui seront posées, doit saisir sa hiérarchie pour décision préalable.

[…] elle vaut uniquement lorsque l’entretien porte sur le fonctionnement du service auquel le fonctionnaire appartient ou sur des problèmes dont il a la charge. En effet, si cette obligation s’imposait quel que soit le sujet de l’entretien, la circulaire excéderait ce qui est nécessaire au bon fonctionnement du service ».

On ne peut être plus clair : l’autorisation de la hiérarchie pour répondre aux questions d’un journaliste ne peut être imposée par la Direction que si l’entretien porte sur des problématiques liées au service et aux missions confiées à l’agent.

S’agissant d’un éventuel pouvoir de police du directeur de l’établissement pour contrôler les interviews données sur le domaine public hospitalier, il ne ressort d’aucun texte législatif ni réglementaire qu’un agent sollicité par un journaliste doive demander l’autorisation de sa direction pour répondre à ses questions, a fortiori en dehors de son service et dans un lieu accessible au public, même situé sur le domaine public hospitalier. L’article R. 1112-47 du code de la santé publique dispose seulement que « les journalistes, photographes, démarcheurs et représentants n'ont pas accès aux malades, sauf accord de ceux-ci et autorisation écrite donnée par le directeur » (alinéa 2). 

L’article L. 6143-7 du même code énonce, par ailleurs, que le directeur assure la gestion et la conduite générale de l’établissement et à l’autorité compétente pour assurer la police générale de l’établissement. À cet égard, les mesures de police administrative doivent être proportionnées et nécessaires à la préservation de l’ordre public – ce qui suppose qu’il y ait eu menace à l’ordre public ou bien, à tout le moins, un risque avéré de perturber le fonctionnement du service public. En tout état de cause, cette mesure concerne au premier chef le journaliste et est sans rapport avec l’obligation de réserve de l’agent.

Au surplus, si le devoir de réserve est strictement appliqué pour les hauts fonctionnaires, il est apprécié plus souplement pour les agents placés plus bas dans la hiérarchie. Surtout, l’appréciation de l’obligation de réserve est plus souple s’agissant des responsables syndicaux agissant dans le cadre de leur mandat, ainsi que des agents candidats à un mandat électif.

Enfin, dès lors qu’un agent n’est pas en service, il peut s’exprimer auprès de la presse et répondre à des interviews sur le domaine public, dès lors qu’il ne perturbe pas le bon fonctionnement du service. Tel est le cas même lorsque l’agent est présent à une cérémonie officielle : le Conseil d’État a refusé de confirmer la sanction prise à l’encontre d’un représentant syndical qui s’était exprimé lors d’une cérémonie officielle auprès de la presse (CE, 25 novembre 1987, n° 73942, mentionné aux tables du recueil Lebon). 

Par extension, les réponses données par un agent à la presse sur le domaine public hospitalier accessible au public ne devraient pas poser pas de difficultés, dès lors que les usagers et les patients ne sont pas sollicités et que le bon fonctionnement du service public n’est pas remis en cause, non plus que la direction de l’établissement.

Analyse de l’ordonnance de référé liberté rendue le 25 juin 2022

Dans un premier temps, le juge des référés a rappelé les conditions d’appréciation de l’urgence dans un référé suspension :

« la condition d’urgence à laquelle est subordonné le prononcé d’une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre. Il appartient au juge des référés, saisi d’une demande tendant à la suspension d’une telle décision, d’apprécier concrètement, compte-tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de celle-ci sur la situation de ce dernier ou le cas échéant, des personnes concernées, sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue ».

Dans cette affaire, le juge des référés a été convaincu par les pièces versées aux débats par l’agent sanctionné que la condition relative à l’urgence était remplie, aux motifs que « eu égard à la proximité des élections professionnelles de décembre 2022 auxquelles M. X. est candidat, ce dernier est fondé à soutenir que la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate aux intérêts qu’il entend défendre et que l’urgence est ainsi caractérisée ».

En effet, le requérant était candidat aux élections professionnelles de décembre 2022 – les premières pour la mise en place des conseils sociaux d’établissements (CSE) dans la fonction publique hospitalière ! –, de sorte qu’une exclusion de fonctions de trois jours à quelques semaines du scrutin lui causait un véritable préjudice, et ce, d’autant plus qu’il s’agissait du secrétaire d’un syndicat nouvellement installé dans l’établissement.

Dans un second temps, le juge des référés a considéré qu’ « en l’état de l’instruction le moyen tiré de ce que la sanction contestée est disproportionnée est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée ». 

Pour statuer en faveur du requérant, le juge administratif a examiné les pièces produites par les parties et s’est exprimé en faveur de la liberté d’exercer une activité politique pour les agents publics, dès lors qu’elle est sans lien avec le service. En tout état de cause, si le juge a émis une réserve sur la possibilité de discuter avec un journaliste dans l’enceinte de l’hôpital sans avoir préalablement sollicité l’autorisation du directeur de l’établissement, il a considéré que la sanction du premier groupe d’exclusion de ses fonctions pour une durée de trois jours était manifestement disproportionnée (à tout le moins, cette disproportion crée un doute sérieux quant à la légalité de la sanction).

Pour conclure sur cette affaire, par l’ordonnance du 25 juin 2022 (n° 2210058), le juge des référés du Tribunal administratif de Caen a suspendu l’exécution de la sanction d’exclusion de trois jours et a mis à la charge du centre hospitalier employeur la somme de 1 500 euros au titre des frais de justice engagés par l’agent, son syndicat et son union syndicale départementale.

Conseils utiles en cas de saisie de juge du référé liberté

Devant le juge du référé suspension, il est impératif de déposer dans un premier temps une requête en annulation de la décision contestée. C’est une condition de recevabilité du référé suspension !

Bien entendu, pour que le référé suspension soit recevable, la requête en annulation doit également l’être : l’acte attaqué doit faire grief, le requérant doit justifier de son intérêt et de sa capacité pour agir et les délais de recours devant la juridiction administrative doivent avoir été respectés.

L’assistance d’un avocat rompu à la procédure du référé liberté est donc fortement recommandée pour assurer la recevabilité de la requête en référé suspension.

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